Le mot esprit est un de ceux qui reviennent le plus souvent dans l’enseignement bouddhiste, un de ceux également qu’il faut regarder avec beaucoup de prudence car, s’il est mal interprété, il risque de fausser entièrement notre compréhension.
L’esprit, de manière générale, est ce qui connaît et ressent, en opposition à la matière, inerte, dénuée de ces facultés. On le nomme aussi la conscience.
Le problème vient du fait que le bouddhisme utilise le même mot esprit pour désigner deux facettes, l’une rejoignant l’usage occidental, l’autre s’en écartant beaucoup, du moins dans le langage courant. Ne pas savoir distinguer l’une de l’autre engendre une grande confusion.
La première facette correspond à ce que nous appelons le mental ou le psychisme, dont la science est la psychologie. Elle désigne le fonctionnement de l’esprit individualisé, avec ses qualités et ses défauts, ses joies et ses peines, se façonnant au gré du jeu entre le conscient et l’inconscient et se rattachant à un moi central dont l’existence nous paraît incontestable. Nous vivons convaincus que ce psychisme constitue notre véritable personne. De ce fait, il accapare notre attention.
La deuxième facette n’envisage pas les contenus psychiques, mais plutôt l’esprit en tant que simple fait d’être conscient, au-delà même d’un “c’est moi qui suis conscient”. On parle également de conscience pure, ou encore de nature de l’esprit ou d’essence de l’esprit. Cette conscience pure est éternelle et infinie ou, si l’on préfère, au-delà des conditionnements du temps et de l’espace. Pour désigner cette réalité, l’Occident n’a guère recours au mot esprit, mais plutôt à celui d’être, voire de Dieu dans un certain contexte. D’où la confusion.
Pour utiliser une comparaison, on pourrait dire que cette nature de l’esprit serait comme l’espace et le psychisme comme tout ce qu’il contient?: les planètes, les étoiles, les nuages, les gaz, les oiseaux, les avions… Encore que dans l’esprit le contenu n’est pas séparé du contenant. On utilise aussi la métaphore de la mer et des vagues. La mer, c’est la nature de l’esprit, les vagues le psychisme. On illustre par là que le psychisme n’est pas un problème en soi. Le problème c’est que nous nous identifions à ce seul psychisme sous la forme d’un ego. Nous croyons que nous ne sommes qu’une vague, sans voir que la vague fait partie de la mer.
Pour distinguer les deux facettes que nous venons de mentionner, on utilise parfois des précisions de langage?: esprit et esprit en soi, conscience individualisée et conscience primordiale ou prime conscience, etc. Mais ce n’est pas toujours le cas. Il est donc indispensable de rester attentif pour ne pas se méprendre?: esprit, oui, bien sûr, mais de quel aspect parle-t-on? Par exemple, dans une expression du type “il n’y pas d’esprit”, il pourrait sembler qu’on sombre dans le nihilisme. Non, on veut simplement dire que l’esprit réduit au seul psychisme ou au mental n’a qu’une existence fallacieuse, ce qui ne signifie pas que la conscience en soi n’existe pas.
Le bouddhisme ne conteste pas que, pour les êtres ordinaires trompés par l’apparente réalité en soi du psychisme individuel, un travail au niveau de celui-ci soit nécessaire pour en éliminer les défauts et en développer les qualités. Mais il nous propose d’aller au-delà, bien au-delà, jusqu’à cet espace où l’individu, cessant de réclamer ses droits dans la douleur, s’efface définitivement et laisse place à la gloire illimitée de l’éveil.
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